Des émotions fortes pour notre première mission

Par où commencer pour raconter notre séjour à Florès ? 

On peut commencer par décrire l’île. Très grande, montagneuse en son centre et couverte de jungle, Florès n’est pas une île très touristique en Indonésie. Par conséquent, elle est encore très pauvre et dispose de peu de services publics : mauvais hôpitaux, peu de moyens pour les écoles, des routes en mauvais état et une distribution de l’eau et de l’électricité peu performante. Et c’est autour du sujet de l’eau que nous sommes intervenus. 

La première partie de l’aventure nous a mené au village de Nangge à une heure de route de Bajawa, une des villes principales au centre de l’île. Au milieu de la jungle et des montagnes.

Nangge fut au premier abord un choc pour nous. C’était notre première immersion sur le terrain. Avec nos yeux neufs d’Occidentaux, tout ce que nous voyions était bien loin de ce que nous connaissions. Maisons en bambou, animaux partout autour et dans les habitations, pas d’approvisionnement en eau, pas d’Internet, peu d’électricité et aucune trace du moindre signe de confort moderne. Un village au milieu de la jungle loin de tout. 

Nous rencontrâmes en premier lieu les membres de l’association Coeur de Foret. Nao dans un premier temps, le Franco-Japonais qui dirige les actions de l’asso sur place. Puis les locaux qui y travaillent et surtout Om Man et Om Ares qui deviendront vite nos acolytes. C’est chez Om Man que César et Pétronille passèrent leurs nuits et chez Om Ares pour Hugo et William.

Les présentations faites, il fut temps de s’installer et de découvrir ce que nous allions faire. Au programme de la semaine : travail dans les champs, plantation d’arbres, intervention auprès du village puis des enfants et enfin tournée des écoles. 

Ce que nous n’imaginions pas, c’est qu’à Nangge, le repos social n’existe pas. Entre toutes ces interventions et missions, nous étions évidemment épuisés. Par la chaleur, l’humidité mais aussi du fait que nous étions dans un environnement très nouveau et choquant pour nous sur plein d’aspects : pauvreté, soif, nourriture, hygiène, faune, langue différente, codes sociaux très différents etc. Et justement, l’un des codes sociaux qui nous fit le plus évoluer fut lié aux relations sociales : à Nangge, on ne reste jamais seul à se reposer. On reste toujours en groupe. En famille. 

Ainsi, nos journées commençaient a 5h du matin et se terminaient à 1h du matin. Sans jamais être dans l’inaction. Voilà ce qui nous choqua le plus. Dans nos sociétés occidentales, on prône l’individualisme et le développement personnel. Il est essentiel de trouver des moments pour se retrouver seul et réfléchir. À Nangge, on prône le sens de la famille et de la communauté. On ne reste pas seul.

Durant nos missions, on appris énormément sur l’eau. Sur l’immense difficulté à accéder à de l’eau potable. Sur les efforts déployés pour la potabiliser. Pour eux, seule solution : prendre l’eau de la rivière et la faire bouillir toute la journée pour pouvoir enlever une partie des bactéries. Le process est tres long et je vais vous le décrire. D’abord collecter de l’eau à la rivière. Nécessite beaucoup de marche et d’effort pour convoyer l’eau à la main. Ensuite couper du bois pour faire du feu. Il faut aller de plus en plus loin et cela occupe 2 à 3 jours de la semaine aux femmes et aux enfants. Ensuite, faire bouillir l’eau toute la journée dans des immenses marmites. Il faut donc rester proche pour surveiller : charge mentale permanente. Enfin vous pouvez consommer une eau au goût horrible de fumée et même pas réellement potable. 

Au moment d’ouvrir un robinet en France, on n’imagine pas la chance que l’on de dépenser si peu d’effort pour avoir accès à une ressource si précieuse et vitale. Voilà la première leçon que nous avons apprise.

Ensuite, nous avons énormément appris sur la valeur des arbres et leur relation si imbriquée avec le cycle de l’eau. Sans eau, moins de nuages. En effet, leur évapotranspiration contribue largement à former des masses nuageuses et donc à attirer la pluie ! Ensuite, ils contribuent également à permettre à l’eau de pénétrer les sols et donc de les recharger. Pour une terre riche et gorgée de matières organiques, rien de mieux que les arbres. Enfin, ils permettent de rafraîchir l’environnent en offrant de l’ombre ce qui fait vivre tout un écosystème mais également grâce à l’évapotranspiration et l’humidité qu’elle génère. Les arbres et l’eau sont donc étroitement liés. 

Ce que nous avons appris également, c’est à s’intégrer dans un mode de vie totalement différent du notre. Bien loin de nos standards, la vie dans un village perdu au milieu de la jungle et des montagnes indonésiennes s’avèrent un sacré défi pour 4 Normands. Il faut tout remettre en question. 

Déjà, l’individualisme est beaucoup moins marqué comme je le disais précédemment : on ne passe pas de moment seul dans une journée, on reste en communauté. Même si l’on a rien à se dire ou rien à faire. Donc pas de repos social pour nous, de 5h du matin à 1h de matin, on est toujours avec des gens à parler, manger, apprendre, travailler. Forcément, ça lessive. 

Ensuite, on ressent un manque que l’on avait jamais eu par le passé : la soif. L’eau potable étant précieuse, on n’en dispose pas en quantité énorme, difficile donc d’étancher sa soif pleinement. De plus, l’eau à un goût tellement fumée qu’on a le sentiment de manger du charbon. 

En plus de cela, notre rapport à l’hygiène a évolué. On s’adapte, on accepte d’être sale toute la journée, de moins se laver, d’aller aux toilettes et de s’essuyer avec sa main, bref on change complètement de ce que peuvent être des habitudes françaises.

Je me rappelle de moments fous où je me réveille vers 5h, épuisé de la veille où l’on a fait la fête et bu de l’alcool traditionnel avec le village jusqu’à 1h, pour se préparer à une journée d’expédition dans la montagne. Qui dit réveil dit mettre ses lentilles pour moi. Toujours un peu compliqué dans des conditions d’hygiène pas terrible. Je prends du gel hydro-alcoolique, je sors de la cabane et commence à essayer de mettre mes lentilles. Moins adroit à ce jeu qu’Hugo, je peine toujours à les enfiler sans miroir : je finis toujours en larme à prendre un temps fou à réussir. Me voilà donc en pleurs à 5h du matin à m’enfoncer des doigts dans l’œil dans la boue au milieu du village, des vaches et des poules. Pour ajouter encore un peu de comique à la scène, s’ajoute à cela la grand-mère qui dormait à côté, qui, attiré par le moindre bruit, commence à venir me parler en indonésien que je comprends très peu encore, sans avoir l’air de trouver étrange le moment. Hugo avec qui je dormais observe cette scène en rigolant : “Personne ne pourra jamais comprendre cela sans l’avoir vu”. 

Bref, on vit des moments lunaires.

Mais qu’est-ce qu’on s’est attaché à ce village. 

On a travaillé, mangé, joué, rigolé, dansé, bu, fait la fête. On a vécu Nangge.

On a fait partie de ce village. On en fait encore partie et on en fera toujours partie.

Les adieux sont déchirants. Nous sommes tous en larmes. Jom Bim, le fils de Bibi Rety et Om Man enfonce sa tête dans mon t-shirt, en larme : “Ne pars pas grand frère”. Mes larmes coulent à mon tour. 

Nous voilà dans le camion, les bras en l’air à éviter les branches tout en saluant le plus longtemps possible notre nouvelle famille. On se regarde les yeux rouges sans savoir que dire. Difficile de trouver des mots pour exprimer nos sentiments. Mais on se comprend.